du 22 janvier au 17 avril 2005
Intra-murosLes images de la musique
La musique nous donne le pressentiment d’un monde meilleur. Goethe
KENNETH ALFRED, FROM AN ENDLESS NIGHT – 1988 – Gravure sur bois; linogravure Î
Les images de la musique propose trois expositions consacrées à la musique :
1 – Partitions musicales 1820-1920
2 – Kenneth Alfred –Visions fugitives.
3 – Résonnances –Un choix dans les collections du Centre
1 – Partitions musicales 1820-1920
Trois petites notes de musique …. et une petite lithographie. C’est ainsi que le véritable mariage amoureux de la musique et de l’image commence…vers 1820.
Il a fallu en effet l’invention et le perfectionnement de la lithographie pour qu’ on puisse publier rapidement et à bon marché des images originales. Très vite, les feuilles de musique, particulièrement austères jusque-là, profitent de l’ innovation. Des artistes se font lithographes, imprimeurs et même éditeurs de musique. Des partitions illustrées jaillissent de leurs boutiques par dizaines, par centaines puis par milliers.
Pendant un siècle, l’illustration musicale suit toutes les modes. Romantique d’abord avec les Frères Williaume à Bruxelles Hyppolite Lecomte à Paris ou John Watson aux Etats-Unis, elle deviendra éblouissante à la fin du XIXème siècle avec l’explosion de l’art nouveau.
Pendant trois décennies, entre 1880 et 1914, un nombre incroyable d’artistes majeurs vont enrichir les partitions de gravures superbes, faites pour séduire les chalands. Jules Chéret, Georges Auriol, Toulouse-Lautrec, Eugène Grasset, Théophile-Alexandre Steinlen, Walter Crane sont de ceux-là.
Nouveauté, la chanson sociale fait une percée à la fin du XIXème siècle. Un éditeur carolorégien en fait même sa spécialité.
L’aventure se poursuit après la première guerre mondiale avec de nouvelles générations. En Belgique, René Magritte illustre plus de 60 partitions. Il fait des émules, comme Peter de Greef. En France, Picasso, Dufy, de Valerio ou Vertes multiplient aussi les illustrations musicales.
Dès 1930, toutefois, il y a comme un essoufflement. L’inventivité créatrice – et parfois révolutionnaire – est étouffée par les exigences commerciales. L’aventure touche à sa fin. Elle a duré un siècle.
2 – Kenneth Alfred –Visions fugitives.
Peintre et graveur, né à Trinidad vivant en France, Kenneth Alfred s’adonne aux divers procédés de l’estampe et nous dévoile un univers intime où, au-delà des lignes déchirées et de leur enchevêtrement abstrait, l’on découvre les souvenirs d’enfance liés à l’île natale. Les masques de carnaval, non plus les neufs, colorés et grimaçants mais les usés laissant apparaître l’armature de fil de fer, deviennent métaphore de la figure humaine et de son évanescence. Kenneth Alfred est également inspiré par la musique, tant dans son exécution qui requiert la précision que par le motif qui peut être décliné, donnant naissance à de multiples variations telles que nous les découvrons dans les différentes séries de son œuvre gravé. Mélomane averti, ses sources d’inspiration s’étendent de la musique baroque au répertoire contemporain.
Veils, Obeah, Lettres inachevées, Visions fugitives. Sous ces titres, l’artiste questionne le monde de l’éphémère, en jouant sur les effets de transparence – utilisant parfois le papier calque imprimé sur ses deux faces – et de superposition des couleurs et des lignes.
3 – Résonnances –Un choix dans les collections du Centre
La partition musicale, appréhendée comme objet à part entière, a été souvent revisitée par les artistes modernes et contemporains. Braque, Magritte, Mesens, Broodthaers, Kolar l’ont largement associée à leur œuvre.
Pierre Alechinsky, joueur de clarinette à ses heures, a illustré avec bonheur des partitions de Michel Portal. Dans le même esprit, il a collaboré à la publication du livre La Plume avec Jean-Yves Bosseur, compositeur et directeur de recherches au CNRS de Paris. Dans cet ouvrage paru chez Actes Sud en 1995, Alechinsky transforme la lecture des portées musicales en parcours aléatoire. On doit aussi à cette collaboration avec Bosseur la lithographie Suzette imprimée et éditée par l’Atelier Clot à Paris en 1993.
Le petit livre de Benoît Jacques Play it by Ear, propose une série de digressions graphiques autour du thème de la partition musicale. Il contient notamment un hommage plaisant à Erik Satie, composé en forme de poire.
L’artiste tchèque Milan Grygar, né en 1926, s’inspire depuis les années 60 du monde des sons et de la musique. Son travail s’est développé dans ce sens sous l’influence de John Cage et du mouvement Fluxus. Les compositions dodécaphoniques de Schoenberg l’ont également impressionné. Cependant, l’essentiel de son œuvre doit beaucoup à l’héritage spirituel des premières décennies du XXème siècle, alors que la musique représentait pour de nombreux artistes un modèle idéal de création. Dans cette perspective, il se réfère à Kandinsky, Delaunay ou Kupka .
Le numéro 209 de la revue Derrière le Miroir sert de catalogue à l’exposition de sculptures à cordes de Pol Bury présentée chez Maeght à Paris en avril 1974. Une suite de lithographies figurant des partitions ramollies illustre la publication et apporte une sorte d’écho aux sculptures parcourues de mystérieuses vibrations sonores.
Au détour du chemin, les notes de musique prennent vie sous la plume de Pierre Caille dans une sérigraphie douce-amère où l’artiste, saisi de mélancolie, évoque «Johan Strauss qui a tant aimé faire danser les femmes et les hommes tendrement enlacés». C’est aussi l’affectif que sollicitent les partitions gravées d’Anne Gilsoul, Lettres d’amour…
Le blues, le jazz, la musique ethnique habitent depuis longtemps les réalisations de Kikie Crèvecoeur. Aux premières séries de gommes, petites images juxtaposées en patchworks, ont succédés des gravures sur lino, animées d’un dynamisme intense. Les premières racontaient une histoire. Les secondes explosent dans une orgie d’encre noire gorgée de sonorités veloutées. En tant que professeur à l’atelier de gravure et lithographie de l’Académie de Boitsfort, cette artiste a eu souvent l’occasion de faire partager aux étudiants sa passion pour la musique à travers des réalisations collectives particulièrement originales. Ainsi naquit en 1993 le recueil ça tourne rond! qui rassemble 17 estampes rondes présentées entre deux disques en vinyl. Et plus tard, en 1995, les Partitions musicales imagées , où, comme le précise la page de titre, «chaque graveur a été invité à s’enivrer de sons et de silences pour les faire vibrer sur papier…».
Les vertus évocatrices du disque, dans ses versions contemporaines ou nostalgiques, ont inspiré des artistes tels qu’ Adelin Guyot et Damien De Lepeleire.
L’artiste américain Edward Kienholz (1927-1994) a proposé durant toute la seconde partie du XXème siècle une image critique et violente de la société, ce qui apporte à son œuvre une dimension sociale et politique. Autodidacte, il avait créé, dès les années cinquante, des environnement sculpturaux souvent sonores et parfois odorants. Le numéro 236 de la revue Derrière le Miroir retrace une de ses expositions présentée chez Maeght à Paris en décembre 1979. Il y mettait en scène d’étranges émetteurs distillant un commentaire permanent.
Les gravures en relief de Thierry Lenoir et Jean-Claude Salemi abordent le thème musical dans un registre délibérément narratif. Leurs mises en scènes jubilatoires renvoient à une certaine belgitude. Encore une histoire belge avec une image du graphiste français Lionel Koechlin: un couple musical évolue dans une réjouissante nudité, non sans un clin d’œil à James Ensor et à Simenon.
Les burins de Jean Coulon, tout en finesse, explorent des villes imaginaires parcourues d’instruments de musique titanesques, se jouant des proportions pour donner naissance à un nouvel espace onirique.
L’art construit regorge de connotations musicales. Une rythmique s’en dégage inévitablement, le jeu des couleurs, leurs déclinaisons ou leur absence même suggèrent des sons ou des silences. Les bruissements de formes, les frémissements de lignes , les explosions chromatiques viennent renforcer l’illusion sonore et donner raison à Jo Delahaut lorsqu’il note La couleur: musique du ciel, parure du monde. Le vocabulaire prisé par les artistes de la mouvance construite témoigne souvent de cette connivence entre les arts. Ils parlent volontiers d’orchestrations, de modulations, de vibrations, de variations sur un thème…
L’abstraction au sens large se prête à tous les cheminements intérieurs. Lorsqu’on la dit lyrique, ses accointances avec la musique semblent irrésistiblement renforcées. Les logogrammes de Christian Dotremont mêlés aux coloris de Karel Appel dégagent avec frénésie l’Expression nerveuse d’immédiates mazurkas. Les arabesques en sérigraphie de Peter Cunliffe invitent au voyage avec les Songs of Araby tandis que Chantal Hardy berce les songes au moyen d’une Flûte en soie. Jules Lismonde fut attiré par la musique dès son plus jeune âge. Il fut d’ailleurs initialement tenté par une carrière musicale à l’instar de Paul Klee ou Karl-Henning Pedersen. Il portait une admiration toute particulière aux œuvres de Haydn, Beethoven, Schubert, Chopin et Schumann.
Les images détournées ont fait les beaux jours du surréalisme et continuent à émailler les carnets de nombreux artistes pour le plus grand plaisir du public.
Olivier O. Olivier, qui fut membre du Groupe Panique aux côtés de Roland Topor et d’Arrabal, manie avec délice les analogies aberrantes qu’il traite dans un style figuratif parfaitement impassible. Ses Romances muettes, moins innocentes qu’il n’y paraît, dérangent l’ordre établi du décor. Les dessins du louviérois Claude Galand, exploitent cette même veine.
C’est au hasard de dons et acquisitions successifs, que le Centre de la Gravure doit la présence de quelques estampes narratives de la première partie du XXème siècle au sein d’une collection pourtant délibérément tournée vers l’art contemporain. La pianiste Moussia, d’Albert Lamblot, fait revivre l’atmosphère feutrée d’un salon bourgeois d’autrefois.
L’homme à l’accordéon, de Paul-Auguste Masui, évoque par contre la condition populaire que l’artiste s’est souvent plu à décrire avec une grande humanité.
La suite de pointes sèches gravée par Edgard Tytgat en 1933 pour La flûte enchantée de Mozart démontre parfaitement que l’artiste fut non seulement peintre mais aussi graveur et aquafortiste de talent. Son oeuvre apporte une interprétation malicieuse et poétique de tous les thèmes de la vie.
La musique nous donne le pressentiment d’un monde meilleur. Goethe
Exposition présentée à Paris au Centre Wallonie/Bruxelles du 13/12/2005 au 6/04/2006
et à Arlon au Musée Gaspar du 9/05/2006 au 9/10/2006