du 5 mai au 5 août 2001
Nos œuvres voyagentCorps à corps
Depuis la nuit des temps, le corps fut prétexte à évocation de mythes et d’histoires, tout autant qu’à expression d’archétypes de beauté plastique ou encore motif à traduction des nombreux aspects de la nature humaine.
© JIRÍ KOLÁR, LES TROIS SOURCES, 1987 – Collage, offset
Parce que le corps est le lieu de la coupure, de la différenciation individuelle, on lui suppose le privilège de la réconciliation possible. On cherche le secret perdu du corps. David Le Breton
Tout au long de l’histoire de l’art occidental, les artistes se sont préoccupés du corps humain vêtu ou dévêtu, isolé ou en groupe, entier ou fragmenté. Depuis la nuit des temps, il fut prétexte à évocation de mythes et d’histoires, tout autant qu’à expression d’archétypes de beauté plastique ou encore motif à traduction des nombreux aspects de la nature humaine.
Au XXème siècle, le corps humain est toujours au cœur de la création artistique, en même temps qu’il subit les transformations radicales que lui imposent les changements de la société. Face à une longue tradition d’esthétique du nu, la représentation du corps évolue vers une plus grande franchise dans tous ses aspects physiques et se lance dans une exploration intense de ses aspects psychologiques, sexuels ou sociaux.
Des visions cauchemardesques aux dégradations burlesques, les corps sont malmenés, décapés, fragmentés et offrent ainsi un contraste saisissant avec un certain idéal d’équilibre physique, d’intégralité et d’unité.
Cette approche qui se focalise avant tout sur le corps en tant que véhicule d’expressions ou espace d’imperfections physiques se poursuit jusque dans les périodes les plus récentes.
La fragmentation et la désarticulation de la figure humaine expriment à la fois l’angoisse, l’isolement et la souffrance. En même temps, elles révèlent la vulnérabilité et la déstabilisation de l’être humain. Les conflits mondiaux, les ravages du SIDA, les morts violentes et le comptage des corps parsèment l’actualité quotidienne et renforcent l’aspect temporel et périssable de la vie, ainsi que les doutes profonds concernant la capacité du corps à se défendre.
L’exposition Corps à Corps qui entend montrer l’actualité du thème et souligner la diversité des approches, rassemble une soixantaine d’œuvres – estampes et livres d’artistes – de la seconde moitié du XXème siècle.
A côté de figures internationales, l’exposition entend également faire une place à des personnalités moins connues du monde de l’estampe. Ce faisant, le Centre de la Gravure et de l’Image imprimée se veut fidèle à l’esprit de la collection et à sa vocation à la fois muséale et prospective qui inclut un soutien à la jeune création.
Catherine de Braekeleer
Œuvres de Pierre ALECHINSKY, Jiri ANDERLE, Georg BASELITZ, Jean-Charles BLAIS, Louise BOURGEOIS, Albin BRUNOVSKY, Pol BURY, Pierre CAILLE, Alexander CALDER, Kikie CREVECŒUR, Francis DE BOLLE, Laurence DERVAUX, Ryuta ENDO, Luc ETIENNE, Jacques EVRARD, Claude GALAND, Claude GARACHE, lberto GIACOMETTI, Izabella GUSTOWSKA, Angeliki HAVALESIDIS, Allen JONES, Jiri KOLAR, Aki KURODA, André LAMBOTTE, Pascal LEBRUN, Michel MINEUR, Zoran Antonio MUSIC, Jean-Pierre POINT, Serge POLLIART, Petr POS, Vicky ROUX, Willem SANDBERG, Antonio SEGUI , Armand SIMON, Yvon TAILLANDIER, Walasse TING, Roland TOPOR, Raoul UBAC, Françoise VAN KESSEL, Vladimir VELICKOVIC.
Jean-Charles BLAIS par Philippe Piguet in Jean-Charles Blais Estampes, Toulouse, 1986.
Tandis que les figures des ses «tableaux» semblent tirées des profondeurs de l’affiche, au terme d’une longue attente, celles des images estampées montrent une spontanéité d’être, un semblant d’innocence au monde, jusque parfois une allure d’éphémère, comme si elles venaient à peine de débarquer ou qu’elles n’étaient pas destinées à séjourner plus que cela à la surface du papier sur lequel elles sont couchées. Plus que jamais le terme de «passage», qui désigne, comme on le sait, dans le jargon de l’estampe, l’action d’imprimer une couleur, prend ici tout son sens. Les figures de Blais, en fuite ou au repos, qu’elles se cachent ou qu’elles soient démasquées, paraissent ne pas devoir rester longtemps; elles sont en quelque sorte passagères en ces lieux.
« Mollesse »: texte de Maurice Lachâtrepour une estampe de Pol Bury
s.f. (du lat. mollitia ou mollities, même sens).
Qualité de ce qui cède au toucher, de ce qui reçoit facilement l’impression des autres corps, de ce qui est mou; état des corps dont les molécules manquent d’adhérence ou de cohésion entre elles.
La mollesse des corps. La mollesse des chairs. La mollesse ne peut convenir qu’à des corps solides, mais elle n’est pas au même degré dans tous les corps auxquels elle appartient. Parmi ceux que l’on range dans la classe des corps mous, les uns ne le sont que très peu et approchent beaucoup des corps durs; dans d’autres corps, cette mollesse est de plus en plus grande, de manière qu’il y en a qui sont tellement mous qu’ils approchent beaucoup des fluides: ainsi le beurre dans l’été. Le contraire arrive également, des corps mous peuvent passer à l’état de dureté.
Les femmes prennent la mollesse de leur complexion pour la tendresse de l’amitié. (Calvin)
La ville de Sybaris sera à jamais décriée pour la mollesse de ses habitants, qui avaient banni les coqs, de peur d’en être réveillés. (Voltaire)
…… La Mollesse, oppressée, soupire, étend les bras, ferme l’œil et s’endort. (Boileau)
Terme de peinture et de sculpture. Mollesse des chairs. L’imitation vraie de la flexibilité, de la morbidesse des chairs; Mollesse des contours. Cet ondoyant que l’on souhaite dans les traits des figures des jeunes hommes et des jeunes filles; Mollesse du pinceau, Mollesse de touche. Le défaut de fermeté dans la touche et dans la manière de peindre.
Maurice Lachâtre, Nouveau Dictionnaire Universel, Paris. In le Daily-Bul illustré 2, 1975
Vladimir Velickovic par Jean-Louis Pradel
Né à Belgrade en 1935, Vladimir Velickovic n’a jamais oublié les pendus que découvrait son regard d’enfant dans un pays soumis à la terreur nazie. Après un diplôme de la faculté d’architecture de Belgrade, la peinture le conduit en 1962-1963 à Zagreb, dans l’atelier d’Etat dirigé par Krsto Hegedusic, puis à Paris où le fixe, en 1965, le prix de peinture obtenu à la Biennale. Dès ses premières œuvres, la virtuosité de son écriture impulsive explore les ténèbres infernales où l’horreur le dispute au néant. DeLa Cave, en 1959, aux épouvantails de 1963 et aux gibets de 1970, se met en place un univers peuplé de rats et d’oiseaux morts, de corps torturés et de chutes terrifiantes. Ce récit apocalyptique, ancré à l’Enfer de Dante et au Retable d’Issenheim, autant qu’aux photographies de Muybridge ou aux reportages de guerre, se conjugue au présent des prémonitions fatales et se forge aux braises d’une mémoire brûlante. La pulsion de mort chevillée au corps, Vladimir Velickovic affronte l’indescriptible silence, l’absurde course contre la montre, les élans rompus du désespoir. Partout, l’indomptable barbarie défie le travail du peintre. Aux antipodes de la figuration pop, loin des engagements immédiats, des leurres de la société de consommation et des images brillantes, cette descente aux Enfers ne cesse de tutoyer la nuit des tableaux impossibles. Frère d’arme de Grünewald, Goya, Bacon ou Saura, «architecte et stratège, bâtisseur d’épouvante», selon André Velter, Vladimir Velickovic bouscule toutes les frontières stylistiques. L’expressionnisme du trait, le lyrisme du décor, la somptuosité des lumières de fin du monde décrivent des espaces désertés, le ciel vide d’une terre à feu et à sang, le sol déchiqueté du désastre sur lequel veillent les gibets, après que les formes ont été arrachées à elles-mêmes et que la peau des hommes a été obstinément mise en lambeaux.
Jean-Louis Pradel, in «La figuration narrative», Paris, Editions Hazan, 2000, p.208.
Corps à corps a été présenté au Centre Wallonie Bruxelles à Paris de mars à mai 2002, ainsi qu’à la Maison des Arts de Grand-Quevilly près de Rouen, du 14 décembre 2007 au 27 janvier 2008, à Montigny-lès-Metz du 15 janvier au 6 mars 2011.